Des abysses vient la lumière

A trente-huit ans, je n’aurais pas imaginé traverser une telle crise, après les difficultés que la vie avait déjà semées sur mon chemin. Et pourtant… il n’y a pas d’âge pour rêver, pas d’âge pour aimer et encore moins pour apprendre. Apprendre de ses erreurs, apprendre de ses échecs, apprendre de ses propres trahisons, et se remettre en question, tout remettre en question. Je suis certainement passée par les déluges que traversent beaucoup de couples, d’hommes et de femmes qui se battent pour que leur relation fonctionne, parfois vainement, mais de temps à autre fructueusement. Je m’appelle Chiara, je viens de fêter mes quarante ans, et je vais tenter d’être la plus sincère possible et de vous raconter mon histoire. Qui sait ? Peut-être vous aider-t-elle vous aussi, à y voir plus clair…

Ce fût un lundi matin d’automne que tout commença. Ma montre affichait six heures trente tandis que je prenais mon café après être sortie de la douche, comme je le fais chaque matin en semaine. Ce rituel ne me dérangeait pas en soit, c’était plutôt la monotonie de mon quotidien qui commençait à me peser. Les enfants dormaient encore et je profitais de ces quelques minutes salutaires pour me recentrer sur moi, sur mes objectifs de la semaine, mes rendez-vous, les activités des enfants et surtout mon travail. J’avais réalisé une superbe année au sein de l’agence de « La financière » que je dirigeais depuis maintenant quatre ans et je réfléchissais aux moyens à mettre en œuvre pour faire encore mieux l’année suivante. Sans jouer les mégalomanes ni vouloir m’auto encenser, cette succursale bancaire était devenue la plus rentable de toute l’île de France depuis que j’en étais à la tête et cela représentait une grande fierté pour moi, en tant que femme. Nous avions les plus grands comptes qui venaient frapper à nos portes et je remportais de nombreuses parts de marché chez les professionnels et les collectivités locales. Alors mon prochain objectif était de viser le monde du show-business, un milieu que je ne connaissais guère, mais dont j’appréciais d’ores et déjà tout le potentiel pour mon agence, y compris en termes d’image.

Mais ce matin-là, rapidement mon esprit fût happé par d’autres préoccupations que celles-ci. Je repensais à cette époque où je n’étais qu’une jeune assistante bancaire, affectée à l’accueil d’une petite banque de village, celui où j’avais grandi près de Rennes, en bretagne, là où j’avais rencontré Paul, mon mari. Ce fût une évidence au premier regard. Il était entré dans mon agence pour y demander des renseignements car il voulait effectuer son premier achat immobilier. Je me souviens encore de ses yeux bleus envoutants qui ne me lâchaient plus et de son charisme, qui du haut de ses vingt-neuf ans, m’avait impressionnée. Je m’étais alors retrouvée mutique, moi qui suis pourtant très loquace habituellement, et cela l’avait effrontément amusé. Puis il en avait joué pour me séduire. « Vous êtes adorable lorsque vous rougissez mademoiselle, mais je suis certain que votre voix doit être aussi belle que vos grands yeux émeraude. J’aimerais beaucoup l’entendre. » M’avait-il lancé d’un air assuré. Je m’étais alors presque offusquée d’une telle nonchalance et l’avais tancé gentiment afin de le remettre à sa place. J’étais sur mon lieu de travail tout de même, il m’était impossible de me laisser déstabiliser ainsi devant mes collègues, qui attendaient encore que je fasse mes preuves après quelques mois seulement au sein de cette agence. Alors je l’avais orienté vers mon responsable afin qu’il lui propose un rendez-vous pour son projet et l’avais invité à revenir lors de cette entrevue fixée à la semaine suivante. Mais Paul n’était pas homme à se laisser éconduire de la sorte, il était donc revenu à l’heure de la fermeture de notre banque et m’avais attendue devant les portes de celle-ci. J’avais été presque apeurée en le voyant ainsi, me demandant s’il ne s’agissait pas d’un psychopathe, mais son discours m’avait très rapidement rassérénée.

_ Je suis terriblement confus de mon attitude envers-vous cet après-midi et je tenais à vous exprimer mes plus sincères excuses. Je n’aurais jamais dû me comporter de cette manière devant vos collègues, c’était inapproprié et vous avez tout à fait eu raison de me rembarrer de la sorte. En revanche, je ne pouvais en rester là. Je me doute que vous trouverez ma démarche étrange, inquiétante peut-être même, mais elle est tout à fait sincère. J’ai ressenti un véritable coup au cœur lorsque je vous ai vue aujourd’hui, je ne saurais me l’expliquer car cela ne m’était jamais arrivé auparavant, et j’avais le sentiment que si j’en restais là et que je ne vous en faisais pas part, je le regretterai toute ma vie. Oh vous devez me prendre pour un fou.

En temps normal c’est très certainement ce que j’aurais pensé et j’aurais d’ailleurs pris la fuite, mais étrangement, son petit laïus me fit sourire et je pris un certain plaisir à l’observer tandis qu’il s’ouvrait à moi avec gêne, lui dont le flegme m’avait immédiatement attisée quelques heures auparavant. Je décidai alors de lui accorder une chance de me convaincre et acceptai son invitation à dîner.

Finalement, de cette soirée improvisée qui fût certainement l’une des plus belles de ma vie, s’ensuivirent rapidement des décisions qui allaient changer le cours de mon existence. Je rêvais d’un poste à Paris et lui n’était pas attaché particulièrement à son travail de commercial provinciale, alors il ne fît jamais son crédit immobilier, il annula d’ailleurs son rendez-vous avec mon directeur d’agence. Car ce soir-là, nous discutâmes comme si nous nous étions toujours connus et l’évidence s’imposa d’elle-même. Lorsqu’il me raccompagna chez moi et que ses lèvres se posèrent sur les miennes en bas de mon immeuble, je su immédiatement que je n’allais plus jamais quitter cet homme-là. Après seulement deux mois de relation, nous décidions de tout plaquer ensemble et de nous enfuir en direction de la capitale, pour y construire notre vie à deux. Ce fût pour notre premier anniversaire de rencontre que Paul me fît la surprise merveilleuse, lors d’un week-end impromptu à Venise qu’il avait organisé à mon insu, de me demander en mariage. Je n’avais alors aucun doute sur la réponse à lui donner. Cet homme faisait battre mon cœur et vibrer chaque fibre de mon corps dès qu’il s’en approchait, alors passer le reste de ma vie avec lui paraissait une fois encore évident et je n’aurais jamais pu l’envisager autrement.

Jamais jusqu’à ce matin-là. Car après avoir passé des années passionnées à nous aimer, à voyager, à faire l’amour aux quatre coins du globe et dans toutes les pièces de notre appartement, jusque dans les cinémas et les toilettes de grands restaurants, un petit être avait fini par s’inviter et avait décidé de se nicher au creux de mon ventre, pour notre plus grand bonheur. Pourtant, cette grossesse ne fût pas évidente. Ma carrière commençait à prendre un tournant important et j’avais très peur que ma maternité n’y mette un frein. Puis les kilos s’accumulèrent sur la balance car je faisais beaucoup de rétention d’eau et c’est tout naturellement que j’enchainai avec une dépression post partum à la suite de mon accouchement. L’on ne prévient pas suffisamment les futures mamans des risques d’un baby blues mal suivi ou mal reconnu, pourtant malheureusement, cela peut avoir des conséquences dramatiques pour la mère ainsi que pour son enfant. Heureusement pour mon merveilleux petit Micha et pour moi, tel ne fût pas notre cas. Paul était extraordinaire, il gérait tout pour me laisser récupérer petit à petit et ne me faisait jamais aucun reproche. Je l’aimais encore bien plus pour tout cela. Puis le soleil revint dans ma vie au fur et à mesure que mon splendide petit bonhomme commençait à me sourire, à moi, sa maman, parvenant enfin à prendre pleinement possession de ce nouveau rôle dans ma vie, le plus beau de toute mon existence. Je mis près de deux ans à reperdre le poids que j’avais pris durant ma grossesse et là encore, ma confiance en moi en pris un sacré coup. Mais le regard de mon époux ne changea jamais, pas plus que son désir pour moi. C’est ainsi que trois ans après la naissance de Micha, je mis au monde une jolie petite rouquine, comme sa maman, au doux prénom d’Ania. Là encore, ma grossesse m’imposa un surplus de trente kilos sur la balance et je n’échappai pas à une deuxième phase de dépression post partum. Mais je décidai cette fois de ne pas me laisser aller et c’est ainsi que je repris très rapidement le travail et m’y consacrai corps et âmes jusqu’à obtenir cette promotion incroyable, en partie due à une chance insolente de voir partir en retraite anticipée, mon directeur d’agence, dont l’épouse venait d’être mutée dans les DOM-TOM afin d’y terminer sa carrière. Depuis que je travaillais avec lui, en charge des clients professionnels, il m’avait vue me battre pour rivaliser avec mes collègues masculins, malgré ma maternité et tous les tracas dus à celle-ci et il avait estimé que j’étais, de tous ses collaborateurs, celle dont le potentiel n’était plus à prouver et la plus à même de reprendre l’agence après son départ. Je ne le remercierai jamais assez d’une si grande confiance et lui suis reconnaissante chaque jour de m’avoir donné une telle chance. Je pense que c’est aussi pour cela que je mets autant de cœur à mon travail, pour prouver à tous, une fois encore, que j’ai mérité cette place, et que je ne compte pas la laisser de sitôt.

Alors j’aurais dû me dire que tout était parfait dans ma vie. J’avais deux enfants merveilleux, un mari qui m’aimait, une maison magnifique dans la toute proche banlieue parisienne et une carrière à son apogée. Mais je me sentais vide en ce lundi matin d’octobre, ou plutôt vidée. J’étais exténuée par ce rythme infernal qui me faisait lever chaque jour à six heures, pour conduire mes enfants dès sept heures trente au périscolaire, ne pouvant les récupérer qu’à dix-huit heures trente le soir lorsque Paul travaillait et me faisant taper sur les doigts car leur amplitude de présence à l’école était trop importante. Mais je courrais déjà constamment pour parvenir à les gérer malgré mon poste de cadre supérieur. Je gérais aussi les courses, les repas et toute l’intendance de la maison. Alors je savais que le travail de Paul, cadre supérieur lui aussi dans la téléphonie, lui demandait beaucoup, mais je souffrais de ce manque de partage dans les tâches quotidiennes et endurais de plus en plus ce que l’on commençait à dénommer comme « charge mentale » à l’époque. Alors parfois, je m’imaginais seule, sur une île déserte, et me disais qu’il serait si simple de tout plaquer et de m’enfuir loin de ce tumulte qui m’épuisait et m’éteignait à petit feu.

Tout comme la flamme entre Paul et moi, qui depuis plusieurs mois semblait avoir disparue. Nous avions survécu à mes deux grossesses, à mes prises et pertes de poids successives, à mes dépressions consécutives, mais le quotidien paraissait avoir eu raison de notre passion qui n’existait guère plus à ces instants charniers de mon existence. Alors je me posais de nombreuses questions et en allant dans la salle de bain pour effectuer mes soins dentaires après avoir mangé mon petit déjeuner, j’explosai intérieurement en avisant ses chaussettes sales, jetées indifféremment sur le sol, juste à côté du panier affecté à cet effet. Je crois que ce fût pour moi l’apothéose de nombreux mois d’exécration. Je n’en pouvais plus et il me fallut prendre sur moi pour ne pas m’énerver, tandis que l’heure était venue de lever mes enfants et de les préparer pour l’école, pendant que mon cher mari effectuait sa séance de sport matinale dans notre salle aménagée spécialement pour cela et qu’il occupait quotidiennement, pour le plaisir de mes yeux certes, mais prorogeant ainsi mon mécontentement croissant. Alors cette journée commençait particulièrement difficilement, mais j’ignorais encore qu’elle allait prendre rapidement un tout autre tournant.

                                                                                                                           ***

Cela faisait deux heures que je planchais sur le dossier délicat d’une cliente dont l’entreprise se portait au plus mal après l’accident malencontreux qui avait coûté la vie à l’un de ses salariés. Sa petite société qui n’employait que dix personnes, mais dont le rendement se trouvait très lucratif, risquait de péricliter si nous ne trouvions pas une solution financière pour la redresser. Je la connaissais depuis de nombreuses années car c’est vers moi qu’elle s’était tournée pour ses premiers crédits professionnels et j’avais donc à cœur de trouver le moyen de l’aider à rester ouverte. Pendant que je m’échevelais à manipuler des modulations de crédits avantageuses que je devais lui présenter le lendemain, l’une de mes collègues, Maggy, frappa à mon bureau, rembrunie de me déranger ainsi.

_ Chiara, je suis vraiment désolée de t’importuner car je sais que tu as beaucoup de travail aujourd’hui, mais il y a un potentiel nouveau client à l’accueil qui demande à te voir. Il n’accepte de parler qu’au directeur, et c’est un grand compte, donc je ne savais pas quoi faire. Ma dit-elle gênée.

_ Décidément, cette journée ne me ménagera pas. Pour qui se prend-il franchement ? Il ne pouvait pas prendre un rendez-vous comme tout le monde ? M’agaçais-je contre cette pauvre Maggy qui n’était pas fautive pourtant.

_ C’est bien ce que j’ai essayé de lui expliquer, mais il dit qu’il repart cet après-midi et qu’il a besoin d’un entretien dans notre banque avant cela, sinon il ira dans une autre agence.

_ Bon et bien je vais recevoir cet homme si « important » semble-t-il. Nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser partir à la concurrence de toute façon. Fais-le monter. Merci Maggy et désolée, je suis d’une humeur massacrante aujourd’hui, ce n’est pas ta faute. Tentais-je de m’absoudre.

_ Le dossier Colbert ? Me demanda-t-elle simplement.

_ Entre autres, oui. Me contentai-je de répondre, préférant ne pas m’étendre sur des problèmes d’ordre personnel.

Après quelques minutes seulement, l’on frappa de nouveau à ma porte. Maggy l’entrouvrit et m’annonça l’arrivée d’un certain Monsieur Vladov. J’avais déjà entendu ce nom quelque part mais ne parvenais pas à me souvenir où exactement. Puis quand je le vis franchir le seuil de ma porte, un détail me revint en mémoire immédiatement. J’avais lu un article le concernant la semaine précédente. Cet homme-là était en passe de devenir l’une des plus grandes fortunes de France. Il avait créé une société de commerce en ligne lorsqu’il avait une vingtaine d’années et ses succursales n’avaient cessé de se développer dans tout le pays depuis quinze ans. Il ne détrônait pas encore le leader mondial sur ce marché mais il n’était pas loin derrière, à l’échelle nationale, et expliquait dans l’article qu’il allait se lancer à l’international d’ici peu. Je me dis instantanément que c’était certainement la raison de sa venue dans mon agence et m’en frottais déjà les mains.

_ Monsieur Vladov, enchantée de vous rencontrer. Pardonnez-nous cette attente mais habituellement, nos clients prennent rendez-vous et j’étais sur un dossier urgent ce matin. Vous comprendrez aisément que nous soyons très attentifs à chacun de nos clients et je me dois pour ce faire, en tant que directrice de cette agence, de me réserver des créneaux pour en gérer certains personnellement. Alors dites-moi que puis-je faire pour vous ?

Son mutisme me déstabilisa légèrement tandis qu’il semblait m’observer sous toutes les coutures.

_ Pardonnez-moi, Madame…

_ Oui excusez-moi, je ne me suis même pas présentée. Chiara Mellin-Renucci.

_ Stanislas Vladov, enchanté. Renucci, êtes-vous d’origine italienne ? Me demande-t-il impunément.

_ Oui, par mon père. Pourquoi cette question ? Réponds-je exaspérée par sa nonchalance.

_ Je me posais juste la question car votre chevelure rousse flamboyante m’aurait plutôt laissé penser que vous veniez des Balkans, à mon instar.

_ Ma mère est d’origine bulgare en effet. Et vous, de quel pays êtes-vous issu ? Tentais-je de répondre poliment malgré mon exaspération.

_ Mon père était serbe, il a rencontré ma mère lors d’un voyage en France et il n’est plus jamais retourné vivre dans son pays… l’amour. Répondit-il mélancolique.

_ Et bien c’est une jolie histoire que celle-ci. Mais dites-moi, revenons-en à la raison de votre venue dans notre banque, car j’imagine que votre temps est aussi précieux que le mien. Incitais-je pour éviter toute familiarité, son attitude commençant à être bien trop malaisante à mon goût.

_ Oui pardonnez-moi, je n’ai pas l’habitude de rencontre des femmes à ce type de poste, je me suis certainement laissé émouvoir. Me lance-t-il alors sans aucune humilité.

Ce type m’indisposait clairement, et je n’étais pas prête à me laisser avilir dans ma position par un malotru, aussi riche soit-il. Je décidais donc de reprendre les rênes de cet entretien et de le mener à ma manière.

_ Monsieur Vladov, je suis tout aussi compétente que n’importe quel homme se trouverait à la tête de notre agence. Je pense que vous n’êtes d’ailleurs pas venu chez nous par hasard. Vous savez certainement que nous sommes l’une des banques les plus florissantes du tout Paris, et je me doute que c’est pour cette raison que vous avez décidé de franchir mes portes. Alors je réitère ma question. Que puis-je faire pour vous ?

_ J’ai l’impression de vous avoir offensé Madame, j’en suis désolé, cela n’était pas du tout mon objectif. Je dois reconnaître que je suis impressionné par votre charisme ainsi que par votre beauté et je ne m’y attendais pas. Je pense que la subversion m’a amené à mal me conduire, sans m’en rendre compte. Je vous présente à nouveau toutes mes excuses et vous prie de bien vouloir les accepter. Permettez-moi de tout reprendre à zéro s’il vous plaît. S’admonesta-t-il lui-même.

_ Je vous remercie de votre obligeance. Je suis professionnelle et ne tiendrai pas compte de ce… disons… débordement. Reprenons alors si vous le voulez bien. Quel est l’objectif de votre visite en ce jour ? Répondis-je alors avec suffisance afin de me placer au même niveau que cet odieux personnage.

_ Et bien je suis en train de transférer le siège de ma société à Paris. Après avoir bataillé plusieurs années pour l’éviter, mon comptable, mes associés ainsi que mes avocats ne me laissent plus le choix car nous allons nous exporter à l’international et pour ce faire, il semble plus judicieux de disposer d’un siège sis dans la capitale. De fait, je vais devoir aussi y acheter un appartement car je devrai m’y rendre plus régulièrement et que la vie à l’hôtel ne me sied guère.

_ Très bien, donc si j’analyse correctement votre projet, vous venez nous solliciter pour un prêt immobilier.

_ C’est tout à fait cela. Je pourrais acquérir ce bien sans y recourir, mais encore une fois, mon comptable n’est pas de cet avis. Il préfère que celui-ci soit sous couverts d’une crédit immobilier afin de l’amortir, car il sera sous ma société holding en SCI.

_ Parfait, je comprends tout à fait sa démarche et ne peux que la valider effectivement. Je vais avoir besoin de plus de renseignements sur votre recherche maintenant, ainsi que de nombreux documents pour constituer votre dossier. Nous allons être obligé de reprogrammer au moins deux rendez-vous pour cela, car je n’aurai vraiment pas le temps de m’en occuper aujourd’hui. J’en suis désolée, mais comme je vous le disais, je suis très attentive aux besoins de mes clients, et en l’occurrence, j’ai sur mon bureau le dossier d’une cliente qui requiert toute mon attention pour la journée.

_ Je le conçois parfaitement et bien au contraire, j’apprécie énormément votre professionnalisme. Je suis très satisfait de savoir que vous étudierez mon dossier avec autant de soin. Je serai de retour à Paris la semaine prochaine, peut-on d’ores et déjà prendre rendez-vous je vous prie ? Cela évitera que je ne vous dérange à nouveau.

_ Bien entendu, je vous en saurais gré.

                                                                                                                      ***

Une semaine s’était écoulée depuis ma première entrevue avec Monsieur Vladov et je dois avouer que ce matin-là, un sentiment ambigu s’emparait de moi. J’étais à la fois crispée à l’idée de revoir celui que je prenais ostensiblement pour un malotru doublé d’un gougeât, mais en même temps, la flagornerie dont il avait semblé faire preuve à mon égard, lors d’un soudain élan de lucidité, ne m’avais pas laissée de marbre et je me surprenais à souhaiter qu’il flatte à nouveau mon égo, ou tout simplement ma personne. Il faut avouer que le début de semaine avait été encore une fois difficile, après un week-end à gérer seule mes enfants, car Paul était parti deux jours avec des amis pour un road trip moto en Normandie, qui était prévu depuis plusieurs mois mais dont j’avais complètement oublié la date. Alors c’était épuisée que j’avais entamé ma journée de lundi par un refus de mon siège concernant la demande de crédit de Madame Colbert, qui se voyait dans l’obligation, à la suite de cet énième rejet de dossier, de mettre son entreprise en liquidation judiciaire. Par conséquent, je dois reconnaître que ce rendez-vous avec Monsieur Vladov tombait plutôt bien, afin que je puisse redorer ma propre estime et aller de l’avant après cet échec cuisant. C’est alors que j’étais dans mes pensées, que j’entendis deux coups frapper à ma porte. Je me relevai immédiatement et demandai que l’on entre.

Ses yeux bruns me fixaient, comme s’ils ne voulaient plus se détacher des miens, tandis qu’il avançait, un pas après l’autre, tout doucement en direction de mon bureau, comme un prédateur guettant sa proie. Je sentis un frisson parcourir mon échine et parvint difficilement à articuler un : « bonjour monsieur Vladov, comment allez-vous ? »

_ Appelez-moi Stanislas je vous prie. Monsieur Vladov c’est plutôt mon père. Je n’aime pas les relations trop cérémonieuses, même lorsqu’elles sont professionnelles. Vous savez j’ai ouvert ma première société à seulement vingt-cinq ans, un âge où l’on n’aime pas être appelé par son nom. Tout le monde m’appelle Stanislas, et mes amis m’appellent Stan. Alors vous pouvez choisir celui que vous préférez. Me dit-il avec insistance.

Comprenant immédiatement la limite qu’il tentait de franchir, je décidai de le recadrer sans plus attendre.

_ Alors je vous appellerai Stanislas, ce sera très bien déjà.

_ Comme vous voulez, Chiara. Répondit-il en appuyant sur chaque syllabe de mon prénom.

_ Et bien commençons, asseyez-vous je vous prie. J’ai bien reçu tous les documents envoyés par votre comptable. Pour commencer j’ai cru comprendre que vous achetiez ce bien, seul.

_ Oui tout à fait. Je suis divorcé depuis un an et mon ex-épouse a gardé notre maison pour y vivre avec notre fils de neuf ans, c’est un arrangement entre nous. J’ai aussi une résidence secondaire sur la côte d’Azur ainsi qu’un pied à terre à Avoriaz. Elle en a conservé une certaine jouissance afin d’y séjourner lorsqu’elle le désire mais ces biens sont à moi en pleine propriété. J’ai, de fait, dû acheter un appartement à Poitier, qui se trouve être ma résidence principale, afin de lui laisser notre demeure. Cet appartement parisien sera donc le quatrième bien dans mon patrimoine immobilier et le troisième inclus dans ma société holding. Je compte bien en acquérir d’autres pour effectuer de la location et ne manquerai évidemment pas de faire appel à vos services.

_ Vous m’en voyez ravie. Dis-je simplement.

Mon point de vue sur cet homme commençait à changer légèrement tandis qu’il me parlait avec tellement de facilité de sa vie privée, de son enfant, de son divorce à l’amiable. Je réalisais qu’il n’était peut-être pas que le pédant énergumène que j’avais supposé, mais simplement un homme à la réussite fulgurante, qui lui avait coûté son mariage et sa vie de famille et il se révélait bien plus intéressant que je ne me l’étais figuré. De plus, je ne pouvais nier le charme envoutant qui entourait sa toute aussi sublime enveloppe charnelle, et les regards langoureux qu’il ne cessait de m’envoyer y étaient certainement pour beaucoup. Pourtant, je me sentais toujours aussi complexée par mon corps depuis ma dernière grossesse. J’avais réussi à reperdre beaucoup de poids à force d’un entraînement intensif dans la salle de sport que nous avions aménagée chez nous, mais ces derniers mois, la fatigue m’avais poussée à me relâcher et ma taille trente-huit avoisinait bien plus les quarante depuis quelques temps. Mais cela ne sembla pas le gêner car il devenait, au fil de notre rendez-vous professionnel, outrageusement séducteur envers moi.

_Ecoutez Chiara, je vois bien que vous faites de l’excellent travail et je vous avoue que tous ces détails m’ennuient beaucoup. J’aimerais autant que vous voyez cela avec mon comptable et mon avocat. En revanche, ce qui me déplairait beaucoup moins, serait d’en apprendre plus sur vous. Autour d’un dîner si cela vous convient.

_ Stanislas, je suis désolée mais comme vous l’avez souligné, je suis extrêmement professionnelle. Je ne dîne avec mes clients que s’il s’agit de repas d’affaires, vous comprenez. De plus, vous ne l’aviez peut-être pas remarqué, mais je suis mariée et la maman de deux adorables enfants. Alors je me vois dans l’obligation de décliner votre invitation. Mais j’espère que cela ne nous empêchera pas de travailler ensemble.

_ Non évidemment Chiara. Je suis moi-même très professionnel et sait amplement faire la part des choses. J’attends de vos nouvelles pour mon projet alors. Je vais devoir prendre congé, à regret, les affaires m’attendent. Belle journée à vous, douce Chiara. Me dit-il en se retournant et franchissant la porte de mon bureau.

Ses derniers mots faillirent me faire défaillir. Cet homme possédait un charme absolu qui me troubla indéniablement et je le resterais encore toute la journée et jusqu’au soir lorsque, en rentrant enfin chez moi après avoir récupéré mes enfants au périscolaire en retard, je retrouverais mon mari avachi sur le canapé en train de faire une partie sur sa console de jeu dernier cri.

Je décidai alors de ne rien dire, trop épuisée pour trouver le courage de me disputer avec lui. Je me contentai alors de filer dans ma cuisine pour y préparer le dîner et me couchai sitôt les enfants endormis, après leur avoir lu une histoire à chacun, et me posai morne, enfin dans mon lit. C’est à cet instant précis, d’un répit bien mérite, que Paul choisi de faire irruption dans ma bulle de détente, la seule de ma longue journée. Il commença à se frotter contre moi, pourtant non seulement je ne me sentais absolument pas capable de faire l’amour, mais surtout, je n’avais pas envie de lui, pour la première fois depuis douze ans, un autre homme, contre toute attente, occupait mes pensées.

_ Ce ne va pas chérie ? Me demanda-t-il presque inquiet pour une fois.

_ Désolée mais j’ai des journées éreintantes en ce moment et par conséquent je n’ai pas la force ce soir, ne le prends pas pour toi. Dis-je sans l’accabler pour éviter le conflit.

_ Je comprends, moi c’est pareil en ce moment au boulot. Tu n’as pas idée comme ça m’a fait du bien de pouvoir un peu lâcher prise ce soir. Tu devrais me laisser faire, ça va te détendre toi aussi.

_ Non en effet je n’ai pas idée, puisque moi je ne me détends jamais. Et non, je ne crois pas que ça va m’aider, je suis fatigué t’ai-je dit, alors laisse-moi dormir s’il te plaît. Répondis-je exaspérée.

_ Ouh la, bon je vois que l’humeur n’est pas au beau fixe alors je vais te laisser te reposer. Je t’aime mon cœur. Me lança-t-il en quittant la chambre.

Il ne réalisait définitivement pas à quel point je ne supportais plus son comportement, à quel point moi aussi je travaillais tout en gérant tout à la maison. Il aurait pu prendre sur lui d’aller chercher les enfants ce soir, comme il avait fini son travail avant moi, cela m’aurait évité les réflexions des animateurs périscolaires sur mon retard. Mais non, depuis la naissance de Micha, il s’était toujours reposé sur moi pour gérer NOS enfants, et cela ne s’était pas arrangé après la naissance d’Ania, malgré ma dépression. Il avait en effet assumé tout ce qui était inhérent à leur bien-être et à la maison durant les semaines où je peinais à faire quoique ce soit, mais comme un retournement de situation opportun, il avait repris ses habitudes dès que de mon côté, j’avais repris des forces. Depuis quatre ans et demi je gérais donc ma carrière, ma maison, mes enfants et aussi mon mari parfois même, car les chaussettes et les slips sales qui traînaient sur le sol ou étaient balayés sous le meuble de salle de bain, devenaient de plus en plus récurrents malgré mes supplications. J’aimais mon mari, je n’en avais aucun doute, mais je parvenais difficilement à le trouver sensuel face à notre quotidien qui me plombait chaque jour un peu plus, face à ce manque permanent d’attention qu’il avait envers moi, ainsi que l’absence de considération que j’entendais dans ses paroles et que je voyais dans ses yeux. Il ne réalisait pas comme je mettais ma vie et ma peau entre parenthèses pour eux trois, et comme j’aurais juste aimé qu’il me dise : « je suis fier de toi mon amour, et je te remercie pour tout ce que tu nous donnes chaque jour. Tu es une maman formidable et je suis conscient de la chance que j’ai de faire partie de vie et que tu m’aimes ainsi, de manière inconditionnelle. Car moi aussi je t’aime plus que tout et plus que l’adversité de nos existences. » Ces quelques mots auraient pu tout changer… si seulement il les avait prononcés.

Je me résignais alors à ne plus rien attendre de mon couple, ni de la vie elle-même. Je crois que je m’enfonçais à nouveau tout doucement dans la dépression, fuyant tous les signaux d’alerte, enfournant ma tête dans le sable telle une autruche, car je n’étais malgré tout pas prête à renoncer à cette vie, celle entourée de mes enfants et de cet homme que j’aimais malgré tout et que j’aimerai toute ma vie, eu égard aux années magnifiques que nous avions vécu et à ces souvenirs partagés. Mais l’avenir me semblait pourtant si incertain. Alors quand je reçu, le lendemain matin, un splendide bouquet de cent roses rouges dans mon bureau, je frissonnais qu’un inconnu ait pu avoir une si délicate attention. Ces fleurs venaient évidemment de Stanislas, qui avait décidé de ne pas en rester là, même si je l’avais gentiment éconduit. Quel gentleman ! Me dis-je à cet instant. Cela faisait bien cinq ans que Paul ne m’avait pas offert de fleurs, ni même quoique ce soit sans raison, juste pour me dire qu’il pensait à moi. Depuis la naissance d’Ania il me semble. Alors recevoir ainsi une telle attention d’un autre homme, me mit, malgré mes principes, tout en émoi. Même si je fus particulièrement gênée de mentir à Maggy, lorsque j’ouvris la carte qui accompagnait ce bouquet, en lui disant qu’il venait de mon mari. Je ne pouvais en aucun cas confirmer que ce fût un client qui me le fît livrer, cela n’aurait pas été professionnel.

                                                                                                               ***

Un nouveau week-end arriva enfin, l’occasion me disais-je, de me reposer puisque cette fois Paul n’avait rien de prévu, une fois n’est pas coutume. Puis je commençai dès le vendredi à repenser à Stanislas, à son regard, à sa bouche que je dévorais des yeux lorsqu’il l’entrouvrait pour me parler. Je ne pouvais pas rester ainsi et eu alors un éclair de lucidité soudain. Je devais me rapprocher de mon mari, cela devenait impératif à la survie de notre histoire. J’appelai donc ma mère et lui demandai de garder nos enfants ce samedi soir, afin que nous accordions un peu de temps à notre couple. Elle ne se fît pas prier car elle adorait ses petits-enfants. Je ne dis rien à Paul et lorsque je rentrai me préparer ce soir-là, après avoir déposé Micha et Ania chez mes parents, il sembla subjugué en me voyant sortir de la salle de bain, ses yeux s’illuminant comme je ne les avais pas vus depuis très longtemps.

_ Mon amour, tu es splendide ! Mais que se passe-t-il ? Me demanda-t-il intrigué.

_ Nous sortons ce soir. Juste toi et moi.

A son regard langoureux, je compris que ma surprise avait eu l’effet escompté et nous passâmes réellement une soirée magnifique. Nous nous retrouvions comme un jeune couple, discutant de tout et de rien, nous séduisant mutuellement du regard, nos pieds se touchant, nos mains se frôlant. Et lorsqu’il me saisit en me plaquant contre le mur à la sortie du restaurant pour m’embrasser et que je sentis ses baiser descendre dans ma nuque et effleurer mes épaules dénudées sous ma robe ceinturée noire, je cru défaillir sur place et ressentais l’urgence de mon désir, dont l’ardeur ne cessa d’augmenter durant la route qui nous menait à l’hôtel que j’avais réservé, quelques rues plus loin, afin de parfaire cette nuit romantique. Là, Paul commença à exprimer son appétence sexuelle envers moi dès l’ascenseur où il glissa sa main sous ma robe pour la porter jusqu’à ma culotte en dentelle fine, malaxant mes fesses et glissant un doigt à l’intérieur de moi. J’étais à la fois gênée et excitée comme jamais et je n’avais qu’une hâte, que l’on arrive au plus vite à notre suite pour prolonger cette extase délicieuse.

Cette nuit-là fût exquise. Je retrouvais enfin mon mari et sentais renaître un augure positif à notre avenir. En allant rechercher les enfants, nous décidions de poursuivre ce merveilleux week-end en leur compagnie et nous arrêtions pour déjeuner dans leur restaurant préféré, avant de passer notre dimanche après-midi à faire des jeux de société avec eux.

Je revenais donc revigorée ce lundi matin au bureau, trouvant un nouveau bouquet de fleurs posé dessus. Lorsque je lis la carte qui me sollicitait encore une fois pour un dîner, c’est tout naturellement que je décidai de le jeter dans ma corbeille à papier et de l’ignorer. La journée se passa bien et je sentais encore les petits papillons virevoltant dans mon ventre à l’idée de retrouver mon époux le soir-même, mais la magie ne dura pas. J’avais réussi à récupérer mes enfants, juste avant la fermeture du périscolaire ce soir-là, tout en courant comme à mon habitude et j’espérais que Paul, enhardi par ces moments fantastiques que nous venions de partager, aurait pris le temps de faire les courses et de préparer le dîner afin que je sois au calme en rentrant cette fois-ci. Mais cela fût sans compter sur cette éternelle affliction qui porte le nom d’habitude, qui le poussa à se remettre à jouer à sa console dès son retour, me laissant assumer une énième fois la décrépitude de notre quotidien. Cette fois-ci je n’y tenais plus et me murai à nouveau dans le silence, mais déterminée à ce que la morosité de mon existence cessa.

J’appelai alors Stanislas dès le lendemain, pour accepter enfin et pour sa plus grande joie, son invitation à dîner. Il devait revenir à Paris le jeudi suivant et j’annonçai à Paul, en rentrant, que j’avais un repas d’affaires avec un futur gros client qui allait probablement s’éterniser ce soir-là. Comme cela arrivait de temps en temps, il ne me posa aucune question, et je me dis alors en mon for intérieur que j’allais enfin prendre du temps pour moi, pendant que lui serait dans l’obligation de gérer nos enfants et tout ce qui y avait trait. Quel bonheur !

                                                                                                                    ***

La semaine me parue très longue tandis que jeudi, dix-neuf heures, tonna enfin. J’avais enfilé ma robe rouge exubérante et bordé mes yeux d’eye-liner noir, ourlé ma bouche d’un rouge à lèvre mat assorti à ma tenue, dont le rendu pulpeux exhibait des lèvres irrésistibles, et bouclé mes cheveux, comme si je me rendais à un repas de fête. Plongé dans sa discussion avec l’un de ses amis, venu lui tenir compagnie (devant un apéritif évidemment) et attendant que je parte, tandis qu’il devait préparer le dîner de nos enfants, que je n’avais volontairement pas anticipé, Paul ne me remarqua même pas et pour une fois, cela m’arrangeait bien. C’est Gustave, son copain de soirée, qui, m’apercevant dans l’embrasure de ma porte d’entrée, me lança perplexe : « t’es sacrément sur ton trente-et-un pour tes clients dis donc ». Mais Paul ne prêta même pas attention à sa remarque, trop occupé à se resservir une bière dans la cuisine. Je me contentai juste d’un « à demain, bonne nuit mes amours » et me faufilais à bord du taxi qui m’emmenait vers l’un des restaurants les plus en vue du tout Paris, retrouver l’un des hommes les plus puissants et séduisants du pays, me sentant comme une midinette de seize ans lors de son premier rendez-vous galant. Quelle excitation !

Stanislas était raffiné, cultivé et très doux avec moi. Nous parlions de sa jeunesse dans le Poitou, de ses voyages en Serbie dans la famille de son père ainsi que de la façon dont lui était venue cette idée folle, à seulement vingt-cinq ans, de monter une société de vente en ligne, lui qui n’avait qu’un BTS de commerce et négociation, en poche. Quel homme incroyable ! J’étais à la fois admirative de son parcours et subjuguée par ce charme qui me laissait de moins en moins indifférente. Néanmoins, il se rembruni lorsque j’évoqua sa séparation et, comprenant que ce sujet était encore délicat pour lui, je n’insistai pas. Les heures passaient sans que je ne les vois défiler et je ne m’attendais surtout pas à l’attention incroyable qui allait suivre. Car soudainement, tandis que nous discutions de ma vie familiale, il sortit de la poche de son manteau un petit coffret, qui selon toute vraisemblance, provenait d’une des bijouteries les plus cossues de la place Parisienne.

_ Qu’est-ce que c’est ? Lui demandai-je interloquée.

_ Pas grand-chose, juste un joli truc pour la plus jolie des banquières que j’eu rencontré dans ma vie.

_ Arrête de me flatter comme cela, je vais rougir.

_ Je ne demande qu’à voir. Me répondit-il de sa voix suave et envoutante.

J’ouvris alors l’écrin qu’il venait de poser devant moi et fît soudain face à une splendide paire de boucles d’oreilles, deux petits anneaux en or pourvus d’une perle au milieu. Simple, élégant, tout ce que j’aimais. J’étais ébahie de réaliser à quel point il avait pu faire attention à mon style en seulement deux rendez-vous, professionnels qui plus est, et qu’il soit soucieux de moi à ce point. Néanmoins, je devenais particulièrement confuse face à magnifique cadeau que je me sentais obligée de décliner.

_ Je ne peux pas accepter Stanislas, c’est beaucoup trop. Je connais cette bijouterie, tu es fou.

_ Oui peut-être, fou de toi depuis la première seconde où je t’ai vue, ça c’est certain. Et je ne peux accepter de refus, cette paire de boucles d’oreille, je l’ai achetée car je l’ai immédiatement imaginée sur toi lorsque je l’ai aperçue dans la vitrine. Elle est faite pour tes oreilles délicates.

_ Je suis tellement gênée. Mais je te remercie pour ce très beau cadeau. Cela fait tant de bien qu’un homme fasse attention à moi de la sorte. Répondis-je d’une voix subitement éraillée.

_ Tu fais allusion à ton mari, j’imagine.

_ Oui en effet. Cela fait tant d’années qu’il ne me regarde plus. J’achète moi-même mes cadeaux de noël et d’anniversaire qu’il se contente de me rembourser ensuite, parfois il sait à peine ce qu’il m’a offert. Et ne parlons pas de la Saint Valentin pour laquelle je n’ai pas le droit à une rose. Alors de voir qu’en si peu de temps tu as été capable de connaître mes goûts et de tomber aussi juste, c’est tout bonnement extraordinaire.

_ C’est parce que moi je te regarde, Chiara. Me dit-il tout simplement, tout en échangeant avec moi un regard qui en dit long sur ses sentiments naissants à mon égard.

Je parviens pourtant difficilement à croire qu’un homme comme lui puisse en éprouver pour une femme comme moi. J’ai presque quarante ans, j’ai eu deux enfants et mon corps en conserve les stigmates, pourtant Stanislas semble véritablement attiré par moi, et réciproquement, je dois l’avouer. Ce dîner fût un véritable délice, dans tous les sens du terme, et j’aurais aimé qu’il ne finisse jamais. Pourtant, j’avais encore une longue journée qui m’attendait le lendemain et minuit étant passé, je lui demandai s’il avait l’obligeance de me raccompagner chez moi, ce qu’il fît sans se faire prier, « trop heureux de passer encore un peu de temps en ma compagnie », me dit-il. Lorsqu’il me déposa devant l’entrée de mon garage qui était un angle mort depuis l’intérieur de la maison, il se pencha délicatement vers moi, ne souhaitant pas me brusquer, et me laissa parcourir les cinq centimètres qui m’éloignaient de sa bouche où je déposais mes lèvres avec douceur. Puis notre baiser chaste devin rapidement bien plus torride, à tel point qu’il commença à m’enlever mon manteau et à caresser mes seins à travers la robe qui les renfermait, avant que je ne me ressaisisse et ne repousse sa main brusquement.

_ Excuse-moi, je vais sûrement trop vite, je n’ai plus l’habitude. Me dit-il contrit.

_ Non ne t’inquiètes pas, j’en ai très envie moi aussi. Seulement nous sommes devant chez moi, il y a mes voisins, et je ne voudrais pas que quiconque nous surprenne, tu comprends.

_ Oui bien entendu. Dis-moi j’ai une idée : t’arrive-t-il d’avoir des journées de séminaire dans ton travail ?

_ Oui une ou deux fois l’an, pourquoi cette question ? Lui répondis-je intriguée.

_ Très bien, alors dans deux semaines, je t’emmène en séminaire durant un week-end prolongé. Prends ta journée du vendredi, c’est une surprise. Me lança-t-il alors, euphorique comme un enfant qui attend ses cadeaux de noël.

_ Et bien écoute je vais m’arranger au travail il n’y a pas de souci. Trois jours pour moi, avec toi, j’ai déjà hâte d’y être.

_ Moi aussi… Me dit-il alors tout doucement au creux de l’oreille avant de m’embrasser langoureusement et de me laisser descendre de sa voiture grand luxe, pour retourner à ma petite vie d’épouse bien docile et de mère de famille dévouée.

                                                                                                                   ***

Les deux semaines suivantes furent extrêmement longues, d’autant que Stanislas n’avait pas pu se rendre à Paris car il avait dû effectuer des déplacements à l’étranger pour ses nouvelles implantations à l’international. Mais il m’avait fait livrer un smartphone dernière génération à mon bureau, afin que nous puissions communiquer en toute discrétion. Nous n’avions pas cessé de nous appeler durant chacune de mes pauses déjeuner et de nous envoyer des messages dès que cela était possible. J’avais eu très peur que Paul ne me surprenne avec ce deuxième téléphone portable, mais comme à son habitude, il ne prêtait pas suffisamment attention à ma personne pour s’apercevoir de quoique ce soit. Je lui avais annoncé, dès le lendemain de mon dîner avec Stanislas, que ce même client voulait nous convier durant un week-end de trois jours dans l’un de ses hôtels (oui j’avais fabulé jusqu’au métier du dit client pour que cela paraisse plausible) afin de nous rendre compte sur place du potentiel à financer. Passé l’agacement de devoir assumer seul nos enfants durant ce lapse de temps (pourtant moi je ne disais rien lorsqu’il partait en week-end avec ses amis), il ne m’avait pas posé davantage de questions et je n’avais donc pas eu à lui mentir plus longuement, commençant à être quelque peu embarrassée par la situation malgré tout. Surtout qu’il s’était mis à m’épauler à la maison, bien plus que de coutume et j’étais suspicieuse de ce changement soudain de comportement. Peut-être que le fait que je ne veuille plus avoir de relations intimes avec lui le tracassait malgré tout, et qu’il prenait conscience petit à petit de ma fatigue et du surcroît de travail qu’il me laissait en ne participant que très peu à notre quotidien. Mais j’avais le sentiment qu’il était trop tard. Je crois que j’envisageais sérieusement, pour la première fois en douze ans, de quitter le père de mes enfants. J’étais à bout, et de constater qu’il fallait le priver de sexe pour qu’il commença à le réaliser, me mettait plus en colère qu’en de bonnes dispositions. Stanislas avait probablement été un élément déclencheur, mais il ne serait pas la raison pour laquelle je déciderai de me séparer de mon mari, ma vie de couple chaotique en était la seule cause.

Puis vint enfin le vendredi matin, où je déposais, comme à mon habitude, mes enfants au périscolaire, mais à huit heure trente seulement ce matin-là, et feignait de me rendre à la gare avec mon bagage cabine, tandis que Stanislas venait me récupérer sur un parking non loin de l’école. Nous voilà partis pour une destination inconnue et mon excitation frôlait l’inconvenance.

Après seulement deux heures de route, nous nous retrouvions face à un immense SPA de luxe, sur les berges de Normandie. Quelle vue splendide ! Et s’il n’avait pas fait aussi froid en ce mois de novembre, je me serais volontiers jetée dans l’océan. Mais un programme bien plus « chaud » nous attendait, et dans tous les sens du terme. Stanislas avait tout prévu, séances de balnéothérapie, massages, bains bouillonnants, soins du visage… Il avait aussi réservé des visites pour que nous partions sur les traces de notre histoire durant la seconde guerre mondiale, se souvenant que j’avais évoqué ma passion pour cette période, durant notre première soirée ensemble. Encore une attention qui ne me laissait pas insensible, cet homme représentait décidément tout ce dont je rêvais et qui me manquait dans mon couple depuis tant d’années. Puis vint l’heure du dîner. Il me conduisit à notre suite, dont la superficie et la décoration soignée me grisèrent immédiatement. Là, je trouvai sur le lit une grande boîte, encore un présent de sa part, que j’ouvrai tout émoustillée. J’y découvrit une longue robe de soirée époustouflante, comme je n’en avais encore jamais porté. Elle était faite dans une soie de très belle manufacture, brodée de dentelle, dans un vert émeraude assorti à mes yeux et fendue jusqu’à la cuisse. Pour la taille, là encore, il ne s’était pas trompé. J’avais l’impression de vivre un rêve éveillé, mais ma raison me poussait à me demander quand allais-je me réveiller. Pourtant, je décidai de ne pas l’écouter et suivait Stanislas jusqu’à la salle du restaurant de l’hôtel, où je découvrai le véritable luxe et des gens de grand standing tous vêtus à l’instar de cette splendide robe de bal que je portais. Encore une fois, le dîner se déroula à merveille, mais contrairement au précédent, nous étions pressés d’en venir à bout pour nous retrouver enfin dans notre chambre tous les deux et nous ne prîmes alors pas de dessert afin de l’écourter.

Lorsque nous passions enfin les portes de la suite, Stanislas me souleva pour me porter contre lui jusqu’au lit, tout en m’embrassant fougueusement, et je sentais tout mon corps s’embraser sous ses baisers ardents. Il défi langoureusement la fermeture de ma robe et fît glisser celle-ci pour laisser apparaître mon corps à moitié dénudé. Je me sentis mal à l’aise malgré son regard concupiscent, car j’en connaissais la moindre imperfection et avait peur de lui déplaire tandis qu’il me voyait enfin dans ma nudité la plus pure. Mais il comprit immédiatement mon trouble et se mit en quatre pour me rassurer. Ses mains me caressaient, sa bouche embrassait chaque centimètre de ma peau et peu à peu, je me laissais aller dans les bras de ce nouvel amant fiévreux de me faire l’amour.

Au petit matin, après une courte nuit où j’avais éprouvé de la difficulté à trouver le sommeil et entrecoupée de moments charnels avec cet homme dont l’appétence était insatiable, dès qu’il me frôlait, pour mon plus grand plaisir, j’avais l’impression étrange de me sentir enfin femme et non plus seulement mère. Je reprenais confiance en moi, en mon potentiel séducteur, en ma féminité, et cela me faisait un bien fou. Il me tenait enlacée dans ses bras et semblait sur un petit nuage lui aussi. Puis soudainement, une idée furtive traversa mon esprit, dont je lui faisais part sans même avoir pris le temps d’y réfléchir.

_ Tu es vraiment un homme plein de ressources et de qualités. J’ai du mal à comprendre pour quelle raison est-ce qu’une femme, ta femme, a bien pu vouloir se séparer de toi. Y-a-t-il un loup que tu caches et dont tu ne voudrais pas me parler ?

_ Oh non, en fait, c’est bien moins compliqué que cela. Tu sais ce que c’est avec ton mari, après tout ce que tu m’as raconté. Tu comprends, avec les années, certaines habitudes se prennent, l’on fait moins attention à soi. Et puis la maternité n’aide pas certaines femmes. Toi tu es restée incroyablement séduisante pour une mère de deux enfants. Mon épouse, elle, se laissait beaucoup aller. Malgré les moyens que nous avions, elle ne faisait plus aucun effort pour rester féminine, elle prenait beaucoup de poids et elle était toujours taciturne. J’ai tout essayé pour lui redonner goût aux joies de la vie, je la sortais, l’emmenais au restaurant, mais même là elle ne prenait plus la peine de se mettre en valeur. Cela a duré cinq ans, durant lesquels nous ne faisions presque plus l’amour, et puis j’ai fini par la tromper. Je le regrette, car j’ai énormément de respect et d’affection pour elle, encore aujourd’hui. Je l’ai aimée énormément et elle est la mère de mon fils, mais je n’étais plus amoureux, je n’arrivais plus à lui faire face chaque jour. Alors j’ai commencé à faire de plus en plus de déplacements, je crois que cela m’a aidé aussi à accroître ma société finalement. Puis j’ai craqué sur l’une de mes vendeuses en ligne un soir de séminaire à Madrid, où nous avions convié les commerciaux ayant réalisé les meilleures performances de l’année. Ma femme l’a su, tout finit toujours par se savoir, et alors elle a demandé le divorce. Je ne me suis pas battu, je lui ai laissé tout ce qu’elle demandait et plus encore, pour qu’elle n’ait pas à s’inquiéter pour l’avenir et puisse élever sereinement notre fils. Maintenant je le vois un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires, comme beaucoup de pères. Il me manque, mais je sais qu’il est bien avec sa maman, c’est une mère formidable, je ne pourrai jamais le nier.

J’étais abasourdie par ses propos, froissée même. Je le regardais, contrite, sans parvenir à articuler le moindre mot. Je repensais alors à mes propres dépressions, après les naissances de mes deux enfants. Je revoyais la façon dont Paul s’était occupé d’eux et de moi. Comme il avait continué de m’aimer malgré toutes nos difficultés et comme il avait conservé tout autant de désir pour ce corps qui avait pourtant tellement changé depuis que nous nous étions rencontrés. Alors certes il me délaissait beaucoup ces dernières années et, passé mon retour à la normale, il ne s’était pas rendu compte à quel point il pouvait se reposer sur moi, mais il ne m’avait jamais fait aucun reproche et là encore, pour que je puisse partir durant ces trois jours d’escapade amoureuse, il ne m’avait pas accablée de prendre du temps pour moi, même s’il croyait qu’il s’agissait d’un week-end professionnel, mais me permettant, de son point de vue, de me consacrer un peu plus à ma carrière. Je ne pouvais nier les immenses qualités de cœur et d’âme de mon époux en entendant cela et je ne pouvais le trahir davantage. Je décidai donc subitement de rentrer et demandai à Stanislas de me ramener chez moi sur le champ. Ne comprenant pas ce revirement de situation, mais percevant mon irritation, il se plia, encore une fois, à ma volonté et nous repartîmes seulement trente minutes plus tard en direction de ma banlieue parisienne.

Dans la voiture, le silence était glaçant. Je me décidai alors enfin à lui parler.

_ Je suis désolée, mais je ne peux pas aller plus loin avec toi. Lançai-je comme une bombe.

_ J’ai cru comprendre en effet que quelque chose t’avait déplu, mais je ne parviens pas à comprendre de quoi il retourne. Peux-tu me l’expliquer s’il te plaît ?

_ Ce que tu as dit sur ta femme. Je comprends ce que tu as pu vivre et tes décisions qui en ont découlé, mais je ne le cautionne pas. Tu n’as pas idée des tourments que nous avons traversé avec mon mari, l’arrivée de chacun de nos enfants a été dévastatrice pour moi, j’ai fait deux dépressions post partum, où j’étais presque incapable de seulement me lever de mon lit, j’ai pris énormément de poids à chaque fois. Mais Paul a toujours été là, comme un roc, pour moi et pour nos enfants. Je n’aurais jamais pu avoir cette carrière ni cette vie s’il avait réagi comme tu l’as fait et je réalise maintenant par quoi il est passé par amour pour moi, tandis que je le trompe avec le premier venu.

_ Merci pour le premier venu ! Se rembrunit-il encore un peu plus.

_ Excuse-moi, je me suis mal exprimée. Ce que je voulais dire, c’est que je ne peux pas lui faire ça. Oui nous traversons une crise et oui je suis souvent malheureuse. Mais nous nous sommes tellement aimés, l’étincelle ne peut pas avoir complètement disparu. Et puis je n’ai peut-être pas fait beaucoup d’efforts non plus durant tout ce temps, toi tu m’as connue dans mon milieu professionnel, mais à la maison, je ne suis quasiment plus qu’une maman moi aussi, comme l’était ton épouse. J’ai sûrement contribué à son éloignement, et je n’ai peut-être pas suffisamment exprimé mon mal-être, par peur qu’il ne croit que je retombais dans une dépression. La communication se fait à deux dans un couple, comme les enfants. Alors quand ça ne va plus, ce sont les deux qui sont en tort. Je ne veux pas perdre mon mari, ni ma vie, je veux au contraire le retrouver et revivre la passion qui nous animait avant que l’on devienne parents. De nombreux couples y parviennent, il n’y a pas de raison pour que nous n’y arrivions pas nous aussi.

_ Donc tu es en train de m’expliquer que je t’ai permis de te rendre compte que tu étais toujours amoureuse de ton mari, en d’autres termes.

_ J’en suis profondément désolée Stanislas, je n’ai jamais eu l’intention de te blesser. Je n’ai eu aucun contrôle sur ce qui nous arrivait et j’étais en période de faiblesse, je me suis laissée aller à ce que m’offrait une relation avec toi. Et j’ai véritablement passé des moments formidables à tes côtés, c’était merveilleux de me sentir à nouveau femme, et je ne veux absolument pas que cela s’arrête. Mais c’est avec mon mari que je veux vivre tout cela. Tomber ainsi jusqu’au fond d’un gouffre abyssale, en me fourvoyant dans cette relation adultère, m’a permis de comprendre en effet ce que je voulais vraiment. Tu m’auras apporté bien plus que tu ne le penses, c’est grâce à toi que j’ai repris confiance en moi, en mon corps que je haïssais depuis si longtemps. Tu es un homme merveilleux et je suis persuadée que tu rencontreras une femme qui saura t’aimer à ta juste valeur.

_ Ouh la ! La phrase bateau que l’on dit à quelqu’un que l’on vient de larguer pour apaiser la douleur. Tenta-t-il de plaisanter pour détendre l’atmosphère et je l’en remerciai.

_ Je suis soulagée que tu ne m’accables pas, tu aurais pu.

_ A quoi cela servirait-il. Nous étions deux adultes consentants qui avons passé de bons moments ensemble. Certes pour ma part j’aurais préféré que cela dure, mais je ne peux pas t’y contraindre et cela n’a jamais été mon objectif. Je ne suis pas homme à forcer les portes des femmes, je les préfère libres et indépendantes. Alors je garderai dans mon cœur et dans ma tête les souvenirs précieux de ces quelques semaines, mais je te laisserai tranquille dorénavant et ne t’importunerai plus de mes avances, c’est une promesse. J’espère juste que ton mari prendra rapidement conscience de la chance qu’il a d’avoir épousé une femme comme toi.

_ Tu es vraiment un mec fantastique et tu me le prouves encore. Dans d’autres circonstances, les choses auraient certainement été très différentes entre nous, mais tu arrives malheureusement douze ans trop tard.

_ Oui, malheureusement. Me répondit-il simplement tandis qu’il se garait devant chez moi. Bon en revanche je veux toujours faire mon crédit immobilier dans ta banque, et je veux que ce soit toi qui le traite. Supporteras-tu de me faire face lorsque cela sera nécessaire ?

_ Evidemment ! Tu oublis que je suis très professionnelle. Et ton charme n’est pas si irrésistible que cela. Plaisantai-je à mon tour, l’amenant à esquisser un sourire.

Puis il se contenta de déposer un baiser sur ma main, en guise d’aurevoir et me regarda m’éloigner et disparaître derrière la porte d’entrée de ma maison.

Là, je trouvais Paul, tapi devant la fenêtre de notre salon. Circonspect de mon retour inopiné, il me demanda immédiatement quelle en était la raison et qui était cet homme dans la voiture, qui m’avait raccompagnée et dont je semblais extrêmement proche. Mais à cet instant, je n’avais pas envie de parler, je n’avais pas envie de m’expliquer, le temps pour cela viendrai, mais je voulais seulement me blottir contre lui, sentir son odeur, sa peau et je jetai ma valise sur le sol pour courir me réfugier dans ses bras. Comprenant alors la puissance mon désarroi, il ne dit rien, et me serra de toutes ses forces, comme si nous venions de nous retrouver après une très longue séparation.

Alors certes, j’ai mis un coup de canif dans le contrat, comme l’on dit vulgairement, mais je crois bien que cette expérience passagère me fît comprendre beaucoup de choses sur moi, sur mon mari, sur le duo que nous formions et qui ne parvenait plus à se retrouver, et cela a certainement sauvé notre famille.

Car je sais aujourd’hui que l’existence n’est pas un long fleuve tranquille et je pense que la vie de couple l’est encore moins que tout le reste, elle ressemble bien plus à des montagnes russes. Mais je crois que lorsque l’on a la chance de trouver sur son chemin LA personne qui peut tout partager avec nous, tout accepter de ce que l’on est, que ce soit la part sombre que l’on tente de cacher, parfois en vain, autant que la lumière qui la pousse à nous aimer, alors nous ne devons pas la laisser passer et il est de notre devoir de tout faire pour la garder près de soi et cristalliser chacun des beaux moments que nous vivons ensemble, pour qu’ils puissent nous permettre de survivre aux plus mornes. J’ai fini par avouer ma liaison à Paul, quelques jours plus tard. Et contre toute attente, non seulement il ne me quitta pas, mais il s’excusa de m’avoir poussée à le tromper, de ne pas avoir compris à quel point je souffrais en silence. Notre relation n’a jamais été aussi belle et notre amour jamais aussi fort que depuis ce jour-là. Nous poursuivons notre vie main dans la main, soudés et plus amoureux que jamais. Car c’est aussi cela l’amour, savoir pardonner pour mieux avancer. Le bonheur n’est pas au bout du chemin, il est le chemin, celui qui nous conduit vers l’apogée de nos existences, celle de nous aimer jusqu’au dernier souffle.

 

 

                                                                                                              FIN

 

Alexe Videri